....La Maurienne....ce nom est étrange pour un pays savoyard, mais ne lui donnons pas, par amour du pittoresque, une origine africaine ! Oui, des hordes mahométaines hantèrent la vallée de l'Arc au Xème siècle, mais deux ou trois siècles plus tôt, des textes notoires avaient appelé la Maurienne "Maurienne" et cette Maurienne romaine, burgonde, franque avait eu toute une histoire avant que les Sarrazins viennent la piller...
....l'entrée en Maurienne éveille tout de suite en l'esprit quelque surprise et de la crainte. On était dans le décor ensoleillé et spacieux du Grésivaudan; le chemin s'en détourne à angle droit et, brusquement à Aiguebelle, s'enfonce entre de lourdes masses couvertes de taillis touffus et de bois noirs où l'on a traqué , il y a peu d'années encore, un de ces ours dont il est toujours dit qu'il est le dernier ours des Alpes. On doit lever la tête pour voir le ciel, et la route, la voie ferrée commencent à disputer les bas-fonds plats à celles qui en furent longtemps les seules maîtresses : les eaux de l'Arc, le rassemblement dans leur voie d'évasion la plus creuse, de toutes les eaux troubles et boueuses d'une immense région de glaciers, de plateaux en terrasse et de ravins; des eaux divaguant parfois au milieu de la vase et des galets de leur plus récente inondation, et parfois se ruant, troupeau en panique, tumultueuse, bondissantes, grondantes.
" Comment sortirons-nous de ce chapelet de plaines dérisoires et d'étranglements obscurs soumis au "croulement" de leurs parois rocheuses ? " . Ainsi se lamentaient jadis, dans toutes les langues de l'Occident, les pélerins à besace piétinant vers Rome ou Jérusalem, les marchands suivis de bêtes de somme portant de précieux ballots, les troupes armées,et, en meilleur équipage, les grands de ce monde : papes, rois, princes, diplomates et , derrière eux, des clercs et des artistes errant entre l'Italie et la France.
....Et ce vent, ce vent perpétuel, courbant, tordant les arbres dans le même sens, vers l'amont. Les Provençaux s'étonnaient de retrouver au milieu des montagnes cette sorte de mistral presque comparable - clameur et poussière - à celui qui balaie la Crau et herse les derniers étangs du Rhône.
...Saint-Jean est protégé contre les grosses crues de l'Arc par son assiette sur un plateau incliné vers la rivière. Mais au sommet, à la traverse de ce plateau, circulent de dangereux torrents, et à l'un deux il est arrivé de déborder en charriant des nappes terreuses, visqueuses, mêlées de cailloux.
Pendant l'hiver 1440, un déluge de cette sorte tua à Saint Jean une centaine de pauvres créatures et démolit force maisons.
....La tour qui signale au loin la cité se prolongeait jadis en une flêche pointue, flanquée de quatre clochetons; 1793 l'a décapitée, mais elle reste encore de belle allure, solidement tenue par les pierres de taille de ses quatre angles, roussie, rugueuse, n'ayant pour ouvertures méfiantes que deux fenêtres géminées (* fenêtres groupées deux par deux sans être en contact direct) au-dessus du sol. Elle est triste, peut-être à cause du mauvais chapeau qui couvre sa mutilation, peut-être en se souvenant d'avoir dominé non seulement les toits d'ardoise du bourg, mais le palais de l'Evêque, la correrie où siégeait son chargé d'affaires, la cathédrale, l'église Notre-Dame, la demeure des chanoines et un cimetière, le tout fermé de murs, enclos dont elle était le beffroi, le donjon, l'orgueil.
A suivre.....
Sources : H. Ménabréa. Revue de Savoie - Octobre 1954 - Librairie Dardel - 6 rue de Boigne - Chambéry.
Henri Ménabréa, né le 15 décembre 1882 (Bourg-Argental) et décédé le 9 juillet 1968 (Aix-les-Bains), est un avocat et historien de Savoie.
Bibliothécaire à la bibliothèque municipale de Chambéry, il est membre de nombreuses sociétés savantes, il succède à André Tercinet à la présidence de l'Académie de Savoie en 1967.
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